Les fonctions du langage
Les fonctions du langage ([4])ont été l'objet de considérations nombreuses de la part des théoriciens.
Il est utile de proposer des pistes qui jettent de la lumière sur les positions théoriques diverses adoptées en fonction de l'observation des rôles particuliers attribués au langage. Les réflexions qui suivent éclairent de façon comparative et synthétique cette diversité des usages tout en apportant une contribution importante au plan épistémologique. Dans l'activité humaine de communication, toute fonction qui est attribuée au langage rejoint ses fondements mêmes.
(Tiré de Lemire, Gilles. Langue française. Vision systémique. Québec, Les éditions L.É. 1995)
Note 1 Application à la langue française des théories de M.A.K. Halliday et de Ruqaiya Hasan.
Voici la liste des auteurs dont nous retenons les classes de fonctions.
- Malinovsky ([5])
- -La fonction pragmatique
- -La fonction magique
- Bühler ([6])
- -La fonction expressive
- -La fonction conative
- -La fonction représentative
- Jakobson ([7])
- -La fonction expressive
- -La fonction conative
- -La fonction représentative
- -La fonction phatique
- -La fonction métalinguistique
- -La fonction poétique
- ==Britton ([8])
- -La fonction transactionnelle
- -La fonction expressive
- -La fonction poétique
- Morris ([9])
- -La fonction informative
- -La fonction du maintien du contact
- -La fonction expressive
- -La fonction du parler d'exploration
Au début de ce chapitre, un bref regard sur certaines théories des fonctions langagières
sert à établir des rapports entre elles. Entre autres, Malinowski, Bühler, Jakobson et
Britton, de même que Morris ont voulu poser leur cadre conceptuel à partir de termes
qui ne sont pas à proprement parler du domaine de la linguistique pour établir une
grille pouvant servir à l'analyse des diverses façons dont les humains font usage du
langage.
Puis la deuxième partie de ce chapitre est consacrée à la présentation du
modèle systémique qui va devenir l'occasion de faire un pas de plus dans la compréhension
des fonctions du langage; car toute variation fonctionnelle, n'étant pas considérée
comme une simple variation dans l'usage du langage, est plutôt perçue comme ce qui sert
à construire le langage. Il s'agit de ses véritables fondements, de son organisation même,
et particulièrement de l'organisation de son système sémantique et de son évolution.
Malinovsky
Malinovsky ([10]), lors de son séjour avec les indigènes peuplant les îles du Pacifique appelées Trobriand, se mit à vivre à leur façon. Il chercha à parler
leur langage tout au long de son séjour. De la même façon que le contexte précède le texte
dans la pratique discursive, c'est à partir des fonctions attribuées au contexte que l'environnement du texte -- le contexte de la situation -- demeure nécessaire à la saisie correcte de la signification. Ce travail sur le terrain lui permit de faire usage d'un langage en action. Il était impossible de comprendre ce qui se disait à moins que ce ne soit pour verbaliser ce qui était en train de se faire. Malinowski enregistrait sur bande magnétique ses commentaires afin de se rappeler l'environnement spécifique au sein duquel le texte en langue kiriwinienne avait été produit.
Ces indications sur la situation, elles étaient appelées le contexte, le avec-le-texte. À cette fin, l'anthropologue fit usage de l'expression << contexte de la situation >>. Il attribua au rôle du langage servant à décrire ces actions de la vie quotidienne le nom de << fonction pragmatique >> et il lui affecta des fonctions secondaires en distinguant ce qui relève de la narration et de l'action.
D'autre part, les Trobriandiens faisaient souvent appel à des informations rattachées à certaines dimensions de leurs fonds culturels; la signification était alors liée à cet héritage du point de vue de leurs coutumes ou de leurs rites. Pour nommer ce rôle du langage découlant de ce qu'il appelait le contexte de la culture, il trouva commode de faire appel à la fonction dite magique.
Bühler
Selon Bühler, ([11])
du point de vue de la psychologie, le langage joue des rôles qui sont davantage rattachés à la personne et à son accomplissement qu'à la société et à sa culture. Dans cette optique, Bühler lui a attribué les trois fonctions suivantes : la fonction expressive ou émotive, la fonction conative et la fonction représentative.
Inspiré du cadre théorique proposé par Platon, cet ancrage du langage dans ses rapports à la première, deuxième ou troisième personne oriente les usagers dans le sens des émotions de celui qui prend en charge l'énonciation -la fonction expressive-, ou encore dans le rapport à l'interlocuteur -la fonction conative- , ou encore dans le champ propre au message, c'est-à-dire à ce que l'on veut communiquer.
Jakobson
Jakobson ([12]) a repris ce modèle en lui ajoutant la fonction phatique qui cherche à maintenir le contact linguistique, la fonction métalinguistique qui développe le discours sur le discours, et la fonction poétique qui porte sur la structure du message -la fonction représentative.
Britton
Britton ([13])qui a adapté le classement de Bühler en
l'arrangeant à sa manière au domaine de l'éducation. Il a proposé trois classes de fonctions dites transactionnelle, expressive et poétique, et cela dans le but de développer chez les enfants les compétences particulières en expression écrite. Il a même proposé un ordre d'exploitation psychopédagogique et didactique pour ces fonctions en faisant appel d'abord à la fonction qui s'exerce dans un contexte expressif. Puis viennent, selon Britton, les fonctions qui projettent vers le dehors de la personne, les fonctions transactionnelles : en premier lieu, l'accent est mis sur le rôle des interlocuteurs; la fonction poétique suit, elle place le scripteur dans la position de l'observateur. Les programmes d'études du français, langue maternelle, en vigueur dans les écoles québécoises, ont emprunté la typologie des discours élaborée par Britton.
Morris
Morris ([14])présente un autre classement intéressant. Il a donné comme support à ses distinctions logiques l'activité langagière de l'homme pris en tant qu'espèce du genre animal.
Il a distingué le parler pour informer du parler expressif. Le premier est de type coopératif au plan des échanges de renseignements. Le second sert à exprimer les émotions; cet ordre est semblable à celui de Bühler. Il a ensuite mentionné le parler de type exploratoire qui favorise les usages esthétiques et ludiques du langage. Puis, Morris passe au parler de type valet; il s'agit de la manière polie de rappeler sa présence. De la même façon, Malinowski avait fait allusion à cette communion phatique, quarante ans plus tôt; elle est aussi intégrée à la taxonomie que Jakobson fait connaître au début des années 60. C'est cette manière civilisée de dire aux gens qu'on rencontre : << Il fait beau ! Ça va bien ! >>
Perspectives systémiques
Fonctions et vision systémique
Afin de présenter, par rapport aux fonctions du langage, des aspects envisagés selon les orientations du courant systémique, le modèle fonctionnel qui suit dégage ses principes des fondements mêmes du langage pour qu'en ressorte son organisation, et plus particulièrement l'organisation de son système sémantique. Les fonctions du langage forment ce qui peut être appelé la configuration des significations : si la centration est faite sur la signification expérientielle, c'est de la fonction expérientielle dont il s'agit, alors que l'analyse des plans interpersonnel et textuel renseigne elle aussi sur des fonctions de même nom : les fonctions interpersonnelle et textuelle. Tout texte ou fragment de texte peut servir à illustrer ces fondements du langage. Des commentaires à propos de deux lignes d'un poème du XVIIe siècle (Halliday 1989 : 18) accompagnent ci-dessous la définition de ces fonctions.
Ce texte a été publié avec l'autorisation de l'auteur et il est aussi disponible en version papier chez LULU.([15]).